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samedi 9 janvier 2010

The long goodbye [Le privé] (Altman, 1973)


Perso, je connais rien à Raymond Chandler, et encore moins au personnage de Marlowe. Ce qui m'a le plus épaté - et sidéré - dans ce film, c'est que bien sûr c'est le faux polar absolu (mais je suis tout disposé à croire que par là, en dynamitant le bazar - le tout transplanté dans le L.A. de 1973 -, Altman touchait plus profondément à la vérité de ce personnage ainsi qu'à l'univers de Chandler).

Ce que je retiens de ce film, c'est cette mise en pièces "anthropologique" (un constat sociologique d'une rare dureté, on est trèèès loin de la gentillesse fédératrice, régressive et compotière du paysage cinématographique américain - ou non - d'aujourd'hui, y compris dans ses échappées subversives frileuses et précautionneuses), avec bien sûr la dégaine à la fois décontractée et désabusée d'Eliott Gould, somnambulique et swinguant comme un solo de saxophone de Sonny Rollins. Genre le gars complètement décalé par rapport au milieu où il déambule, qu'a tout compris de la vilenie/bêtise humaine, que plus rien ne peut quasiment étonner, mais qui ne verse pourtant à aucun moment dans le cynisme. Quelqu'un de profondément bon, éthique, quoi. Du début à la fin, faut voir, il n'arrête pas de se faire rétamer la tronche pour pas un rond, tantôt par les flics, tantôt par la pègre, par toute une collection ahurissante de cinglés sévères, représentatifs d'une Amérique complètement déboussolée (les seules personnes qui semblent équilibrées dans le film sont ses voisines qui passent leur temps à se préparer des "cakes" sur leur terrasse). Et le gars ne se départit pas d'une forme de gentillesse morose, de détachement élégant, un mélange de stoïcisme un brin moqueur et de compassion silencieuse. Le genre de mec qui se met en quatre pour aller acheter au milieu de la nuit des conserves pour son chat. Bref, un personnage admirable, un des plus beaux anti-héros de tout le cinéma contemporain.

Pour le reste, le film est une plongée en apnée dans les eaux grasses de la société américaine, d'une noirceur et d'un pessimisme sans rémission. Avec cette forme caractéristique des meilleurs Altman, déstructurant le cadre et les plans en une multiplicité de points de vue "flottants" qui ne sont plus subordonnés à une téléologie démiurgique du sens. La dégaine, le style si particulier de ce "privé" en constitue la parfaite traduction corporelle, constamment périphérique, à la limite effacé alors que le cadre est envahi, littéralement asphyxié par toutes ces figures bavardes, névrosées, paumées, schizophréniques, qui s'agitent en vain, animées par leurs passions inutiles et dérisoires.

La scène de tabassage de Marlowe dans l'appart, quand le chef de bande en chemise hawaïenne, un abruti indescriptible, passe sans transition de l'exhibition commentée de ses abdominaux dont il semble très fier (par ailleurs inexistants) à la défiguration gratuite de sa petite amie (juste pour montrer sa détermination: "tu vois ma fiancée, c'est la personne que je chéris le plus au monde. Je ne plaisante pas, il n'y a pas sur cette terre un être que j'aime plus que ma fiancée"), avec le tesson d'une bouteille qu'il brise pour l'occasion, est un des trucs les plus traumatisants que j'ai pu voir dans un film, d'une étrangeté inquiétante qui va même plus loin que certaines séquences de "blue velvet".
Ne serait-ce que parce qu'ici l'horreur de la violence n'est pas précédée par sa propre annonce: elle survient dans une texture relâchée, quelque chose de quotidiennement poreux, approximatif, indécidable, on sait pas trop bien ce qui se passe; comme souvent chez Altman il y a plusieurs scènes qui semblent évoluer de manière indépendante et simultanée dans la même scène, sur un même plan horizontal auquel toute profondeur a été retirée.
(Pour l'anecdote, un des molosses qui se tient dans l'ombre, en slibard, les bras croisés, et dont on ne voit pas clairement le visage, c'est Schwarzenegger dans sa première apparition cinématographique. Aucun intérêt mais le détail est amusant)

Une mention particulière aussi pour Sterling Hayden, qui nous compose pour la seconde fois après Doc Folamour (son fameux général Jack D. Ripper, spécialiste des "fluides corporels"), mais dans un registre opposé, un personnage saisissant de frappadingue mégalo-dépressif condensant plusieurs traits de Ernest Hemingway. Un des running-gags les plus, disons... savoureusement nihilistes étant la manière dont il est perpétuellement harcelé par une espèce de nabot psychanalyste qui semble le terrifier (lui, un roc de deux mètres animé par une violence destructrice à faire frémir), lequel, avec l'insistance et la démarche d'un Donald Duck sous doliprane, vient réclamer d'un ton pète-sec ses honoraires au beau milieu de sa "party" déliquescente dans sa somptueuse résidence au bord de la mer: "pay the bill, Jack. Pay the bill", tout en lui administrant quelques giflettes.
Bon, on l'aura compris, ce film "nonchalant" est dantesque. A voir en V.O. exclusivement.





PS: à cette l'occasion, j'ai relu le chapitre de Cinéma 1 - plutôt décevant à mon sens - où Deleuze parle de Altman, qu'il associe très rapidement à quelques autres comme Lumet et Scorsese, placés sous une même bannière (alors que sont des approches très différentes), et tout ça est un peu rapidement expédié sous une critique que je résume à gros traits:

ils investissent, en dénonçant leur emprise, les clichés, qui désormais fonctionnent "à vide". Les régimes de sens et de réalité qui jusqu'ici gouvernaient la société américaine, son ordre ancien et contesté, ne sont plus, pour ces cinéastes de la "crise" de l'image-action et du rêve américain, que des "clichés", précisément: miroitements de surfaces vides et interchangeables, situations dispersives à interférences et liaisons faibles. Mais ils ne proposent aucun projet créatif, ne créent aucune image nouvelle pour en sortir; ils restent dans le registre de la parodie des clichés, et de ce fait leur critique du système, des institutions, des appareils de pouvoir, reste étroite et inoffensive. Ils participent ainsi à la pérennisation des clichés qu'ils dénoncent et dont se nourrit aussi bien l'industrie du cinéma que l'ordre établi qui l'entretient.


C'est un peu vrai pour certains films de Lumet (les moins bons), un peu moins pour Scorsese, et concernant Altman, là je conteste: c'est trop rapidement expédié et catégorisé.

C'est un des moments faibles du bouquin. Dieu sait si c'est un livre génial, et qu'on n'aura jamais fini d'épuiser (surtout quand comme moi on ne peut pas se targuer de l'avoir lu et épluché entièrement, et rigoureusement), mais oui, cette partie sur Altman & consort est faible. Deleuze n'a pas forcément toujours raison, et là je pense qu'on peut oser dire qu'il se trompe, du moins sur le cas Altman.

Car l'œuvre cinématographique de Altman excède de loin cette seule dimension parodique pour véritablement faire naître de nouvelles images. 
Altman n'est pas le cinéaste de la destruction grinçante ou en tout pas que ça (certains films mineurs, comme Mash, au début, ou The Player, vers la fin, sans doute). Il invente positivement d'autres modalités de visions, expérimente de nouvelles façons d'approcher la multiplicité du réel, de saisir "la vie" et "l'événement" sous des formes optiques et sonores nouvelles,  sensorielles-concrètes, ouvrant sur la complexité, l'enchevêtrement, le mouvant.
Une attention au collectif jamais pratiquée jusque-là: une approche "démocratique" des lieux, des cadres sociaux, où la périphérie compte autant que le centre, notamment en repensant et contestant radicalement la notion de profondeur de champ  aussi bien optique que sonore (le travail inédit sur les longueurs de focales qui brouillent les répères entre le "lointain et le "prochain"; la prise de son étudiée pour que tous les dialogues soient saisis sur une échelle équivalente, se chevauchant dans un "brouhaha" continu).

Le micro et le macro s'interpénètrent de telle façon qu'une nouvelle façon de regarder et d'entendre se propose.
Et bien sûr ça a été repris, plagié, réduit en clichés par d'autres sous la dénomination "choral", fort à la mode, mais non pertinente concernant le travail d'Altman, qui ne pratique nullement du cinéma choral: bien au contraire on pourrait parler chez lui de "Klangfarbenmelodie": des agrégats qui ne s'agrègent pas sur le mode "symphonique". L'improvisation en jazz, post-bop, serait une analogie plus adéquate. Ou alors les fanfares de Charles Ives, s'incrustant les  unes dans les autres jusqu'à former des blocs polyrythmiques en constant déplacement. Ce qui ressort de tout ça, c'est, loin de s'en tenir aux "clichés", une façon de saisir un mouvement d'ensemble en perpétuelle métamorphose, jamais en surplomb, mais toujours par glissements d'un espace à l'autre.

Et ça, c'est un langage, une manière, que Altman invente, expérimente, et que personne n'a encore réussi à imiter. Magnolia, par exemple, de Paul Thomas Anderson, c'est pathétique, c'est tout le contraire: tout y est fondé sur l'interdépendance thématique qui lie le tout, et en plus cette dernière, c'est que des clichés pour le coup, et univoquement morbides sinon rien: les pères indignes ou absents qui se meurent d'un cancer, leurs fils et filles hystériques qui vont nulle part... Mais tout ce petit monde se relie dans un moment de grâce suspendue, le temps d'une pluie de grenouilles et d'une chanson écoutée à la radio... Les mouvements de vie et de puissance sont liquidés dans un pathos misérabiliste et mélodramatique, et on rajoute in extremis une pincée de sublime  "kantien" pour ne pas sombrer dans le sordide complet.

Rien de tout cela chez Altman: c'est une puissance de vie dans le multiple, des acquiescements, dans le chaos, dans le drame, dans le désespoir, qui parfois relancent des endurances, des joies d'exister, des motifs pour se réjouir et créer; des pertes, des crevasses de néant, des zones d'indiscernabilité où le séjour dans le négatif dont parlait Hegel tantôt s'intègre à la vie, tantôt ne le convertit pas en être, mais telle est la vie selon Altman, susceptible de reprendre ses droits. Et loin de tout ricanement nihiliste, il nous enseigne aussi la possibilité d'une générosité dans la déroute, la dispersion. Bien sûr, pas tous ses films, mais les meilleurs: "short cuts", qui brasse tout ça, en est un merveilleux exemple.

Deleuze, de toute évidence, n'a eu accès qu'à une part très délimitée du travail d'Altman, le versant "démythologisaton" (Buffalo Bill et les indiens, John Mc Cabe, Mash si ça se trouve: et encore, on pourrait les décoder autrement), mais ce versant ne rend pas compte des autres versants où il aurait sans doute trouvé matière à se réjouir davantage. Sans compter que dans d'autres films, comme The Long Goodbye, justement, ce n'est que très superficiellement qu'on pourrait soutenir qu'il s'agit d'une parodie de genre codé (le film noir): il y a aussi l'acuité et la minutie dans l'observation sociologique, presque "hyperréaliste". Et Deleuze passe complètement à côté de cette dimension, peut-être la plus importante concernant Altman.

De manière plus générale, dans ce chapitre sur le cinéma américain dit de la "crise", la création de dispositifs de mise en scène reposant sur l'affaiblissement des chaines de causalité, voire leur complète dissolution dans des régimes d'interruption, de flottaison ou de dispersion (forme "ballade", non-intrigues, piétinements narratifs, prépondérance des espaces vides et transitoires,  multiplication des sources d'images indirectes comme vitres, fenêtres, reflets, etc) est décrite comme un symptôme négatif de dégradation ou de dégénérescence de la "grande forme", du "schème sensori-moteur" qui générait le mouvement de l'image en liant les actions et les situations dans une unité organique (S.A.S).
Mais pourquoi envisager comme crépusculaire, indice de "décadence", des changements de forme cinématographique qui ont lieu au même moment, et selon des modalités très proches, en Europe? Pourquoi retirer d'une main à Lumet, Schatzberg ou Altman ce qui est accordé positivement de l'autre, à un Antonioni par exemple: la création de situations optiques-sonores "pures"? En quoi l'utilisation des "clichés" comme surfaces sans profondeur narrative, retour critique et réflexif de l'image sur elle-même, s'auto-indexant ou s'auto-signifiant, ne constituerait-elle pas une ressource permettant d'explorer de telles situations? Pourquoi ce qui est loué comme progressiste chez Godard serait jugé univocément réactionnaire dans le cas des réalisateurs américains de cette période?

( Période que j'aurais plutôt tendance - mais c'est moi - à considérer comme LE grand moment du cinéma américain: toute la période dite "classique" (y compris le classicisme "français", que je reçois comme une fréquence sonore stridente à la limite de la torture physique), et à de rares exceptions près (comme Welles), génère chez moi un agacement et une lassitude rédhibitoires, surtout le western "fordien". Je m'explique pas ça. Comme une immense carte postale jaunie, asphyxiée, saturée de valeurs niaises, grandiloquentes et lénifiantes, de jeux d'acteur sur-signifiés, d'enjeux compris d'avance et rabâchés jusqu'à épuisement des redondances, d'issues cousues et prédéterminées dès le générique. Comme l'histoire d'un monde clos, cent fois répétée, cent fois répétant le déroulement de son telos assommant, et avec laquelle j'ai hâte d'en finir pour passer à autre chose.
Et après la parenthèse  bénie, située  grosso modo entre la fin des 50s et la fin des 70s - celle du cinéma de crise ou en crise - et comme si en effet on ne pouvait pas aller plus loin dans la "crise" (Antonioni et Godard inclus), voilà que ça repart en sens inverse, rebelote - dans le vacuum des années 80 - pour le carrousel d'Épinal, roulez jêêunesse, le retour triomphant du "plein" de naguère, juste en mode "creux" nostalgique de lui-même. Alors là pour le "cliché", on est servis et bien servis: c'est du lourd. C'est plus les surfaces discontinues sans profondeurs, les régimes flottants et dispersifs,  les espaces quelconques et les zones d'indiscernabilité. C'est l'affiche de cabaret hypertrophiée, le retour en grand du tout-au-décor obstruant tous les interstices, supprimant tous les intervalles, étranglant toutes les lignes de fuite possibles et imaginables. Plus un micro-gramme de vide, pas la moindre anfractuosité où se glisser, à partir de laquelle on pourrait se sentir tailler la zone. Plus d'issues, plus qu'une grande piste de danse-sitcom plus encombrée que la cabine téléphonique des Marx-brothers, bardée de jingles et d'enseignes clignotantes; et - ô misère et putréfaction - kitsch à tous les étages, teintes saturées, filtres colorés, rétro-ambiances, tubes aux néons fuchsias, passions phantom-of-the-opératiques, synthés criards et crinières peroxydées assorties. Bref, c'est l'indigestion. Besson meets Blade Runner in the subway with Vangelis Papathanassiou; E.T. phones home; Ferris Buller is going back to the future with Dark Vador and Lisa Minelli. Bien sûr, y a encore des Carpenter, Cronenberg, Lynch, pour réinjecter des zones grises ou mortes, des errances, des interrègnes, dans le registre du fantastique, avec des réussites diverses. C'est la portion congrue. Ils nous aidé à traverser cahin-caha le plein hurlant son vide du maelström des années 80.
En dépit de la persévérance gélatineuse du disco-revival, fort heureusement circonscrit dans les soirées thématiques karaoké-dancefloor, on semble enfin sorti de cette période fric-pubarde si attachante, pour des lignes un brin plus austères, plus sobres, même dans le fun, et c'est pas dommage. Un peu d'air... )

Mais plus sérieusement, pour en revenir aux découpages et aux périodisations dégagées par Deleuze, ce sont là, malgré tout, des lignes de partage qui ne me semblent pas absolument claires ni réglées une fois pour toutes. Sur le plan de la méthode, elles ne cessent d'ailleurs de  dégager et de définir de grands ensembles mobiles pour aussitôt en démentir la continuité logique - les peuplant d'une joyeuse prolifération bourgeonnante de contre-exemples, de singularités, d'alternatives, de figures orphelines, dont la somme kaléidoscopique finit par être plus importante que le paradigme désigné dont elles s'écartent. D'où une question: pourquoi ce paradigme-là plutôt qu'un autre? Pourquoi pas, et en même temps, pourquoi? Bon: on dira que les synthèses sont disjonctives, et sans nul doute elles le sont. C'est pourquoi il ne faut pas accorder un crédit exagéré à tel ensemble moteur, il est lui-même traversé par une logique multiple, folle, sans cesse court-circuité par une autre totalité en mouvement qui l'imprègne et l'excède en même temps, faisant "filer toutes les relations hors de leurs termes". C'est le fameux "plan d'immanence" constructiviste deleuzien, son système philosophique global, qu'oublient ou plutôt méconnaissent si facilement tant de lecteurs des volumes sur le cinéma, qui s'ingénient à fixer, fossiliser les ensembles ainsi désignés. Mais ce n'est pas parce que les unités sont mouvantes qu'il n'y a pas d'unité, et inversément, ce n'est pas parce que des processus d'unification peuvent être dégagés qu'il y a forcément de l'unité:
"il n'y a pas d'universaux, pas de transcendants, pas d'Un, pas de sujet (ni d'objet), de Raison, il n'y a que des processus, qui peuvent être d'unification, de subjectivation, de rationalisation, mais rien de plus. Ces processus opèrent dans des "multiplicités" concrètes, c'est la multiplicité qui est le véritable élément où quelque chose se passe. Ce sont les multiplicités qui peuplent le champ d'immanence, un peu comme les tribus peuplent le désert sans qu'il cesse d'être un désert. Et le plan d'immanence doit être construit, l'immanence est un constructivisme, chaque multiplicité assignable est comme une région du plan. Tous les processus se produisent sur le plan d'immanence et dans une multiplicité assignable: les unifications, subjectivations, rationalisations n'ont aucun privilège, ce sont souvent des impasses ou des clôtures qui empêchent la croissance de la multiplicité, le prolongement ou le développement de ses lignes, la production du nouveau.
Quand on invoque une transcendance, on arrête le mouvement, pour introduire une interprétation au lieu d'expérimenter. Bellour l'a bien montré pour le cinéma, pour le flux des images. Et en effet l'interprétation se fait toujours au nom de quelque chose qui est supposé manquer. L'unité, c'est précisément ce dont la multiplicité manque, comme le sujet, c'est ce dont manque l'événement ("il pleut")". ["Sur la philosophie", septembre 88, entretien avec R. Bellour et Fr. Ewald, dans Pourparlers, Minuit, 1990, p. 199-200]

Parallèlement, le postulat - peu interrogé par Deleuze lui-même apparemment - d'une translation ou d'une commutation "organiques" entre processus logiques de transformation et leur déroulement chrono-logique, tend parfois à s'assimiler à une vaste "téléologie de l'Histoire" dont on pourrait se demander si elle n'est pas parfois animée - à la limite et à son insu - par le souffle d'un Esprit proprement hégélien, respirant aux rythmes d'une ample dialectique qui ne dit pas son nom. Et ça crée éventuellement des "séquençages" arbitraires, parfois pauvres ou naïfs empiriquement, autorisant -hélas- un certain dogmatisme crispant dans le chef d'une certaine "cinéphilie", celle qui entend utiliser cette taxonomie non comme une méthode (qui ouvre) mais comme un "Césame" (qui ferme).

Quoi qu'il en soit, la "page" Altman ne se referme certainement pas de la façon dont Deleuze semble la refermer, pas plus que celle de Lumet dans un autre registre (car chez Lumet aussi, ce n'est qu'une partie délimitée de son cinéma qui encourt le reproche -justifié- d'un "réformisme tiède" qui essaye de sauver ce qui pourrait l'être du "rêve américain"; y a aussi un Lumet plus radical, plus offensif, y a aussi un Lumet tragique, etc).

Bref, ce développement [p. 280-284, dans "la crise de l'image action", tome1, L'Image-mouvement] me paraît trop systématisant, trop idéel, même si certains points critiques sont justes. Mais bon, aussi, le bouquin date de 1983, et les cinéastes concernés, justement ceux-là, ont créé des œuvres depuis, les unes géniales, les autres pas trop top, mais chacun, pour les meilleures, a approfondi son langage...